Le tabou de la Mort
Nous pensons tous à elle, mais personne n’en parle… C’est vrai qu’il peut-être parfois difficile d’oser parler de la Mort et ainsi d’évoquer la sienne. Alors on reste avec nos interrogations, nos idées fausses, nos angoisses et tout cela perdure puisque personne ne souhaite évoquer le sujet… Il y a plusieurs années, quand j’ai commencé à parler autour de moi de mon projet de créer mon cabinet afin d’accompagner le deuil et la fin de vie (donc tout ce qui touche à la Mort), les avis ont été plus que mitigés et les retours un peu bof : « Tu n’as pas d’idées plus gaies, toi qui es si lumineuse ? », « … S’il y a quelque chose dont je n’ai vraiment pas envie d’entendre parler c’est bien la Mort, elle arrivera bien assez tôt ! », « remarque il faut bien qu’il y ait des gens comme toi qui s’en occupes… ». Les seules personnes qui trouvaient ce projet nécessaire étaient des personnes qui vivaient justement un deuil ou côtoyaient la maladie et qui avaient besoin d’évoquer cette mort, de la comprendre un peu mieux, d’exprimer ce qu’elle représentait pour eux… Alors pourquoi parler de la mort nous fait si peur ?
Elle effraie sans doute car elle interroge et touche nos peurs les plus profondes. Elle pousse également à l’introspection. Faut-il être arrivé à l’heure de nos derniers instants pour s’apercevoir que nous avons perdu du temps, que nous sommes remplis de regrets ?
Parler de la Mort ne fait pas mourir (en général !)
Il n’y a rien de mortifère à l’évoquer. Et moins nous en parlons, plus nous la cachons, moins nous arriverons à l’intégrer dans la société et nos quotidiens… Peut-on se « réconcilier » avec elle en en parlant ? Combien de fois ai-je entendu « arrête avec ça tu vas nous porter la poisse » !!! Et pourtant elle fait partie d’un cycle naturel. On parle de celle-ci bien souvent en évoquant la fin de vie de nos aînés, la disparition brutale lors d’une maladie ou d’un accident par exemple. Jamais comme un sujet de réflexion « comme un autre ». Et pourtant, se confronter à la mort permet de donner plus de sens à la vie et peut être une belle occasion d’ouverture et de croissance personnelle mais également de nous y préparer. De mon côté, je ne fais que constater que plus les personnes réussissent à intégrer la mort dans leur quotidien, plus ces personnes semblent en Vie ! Oui, pour moi parler de la mort aide à être encore plus vivant !
Pour accompagner au mieux un proche, s’être préparé peut réellement faire une différence. Qu’interroge-t-elle en nous ? Il apparaît que selon nos cultures, nos croyances, les personnes qui ont la Foi ou qui adhérent à l’existence de l’âme ou d’une vie après la mort, semblent plus en paix à l’idée de mourir. Savoir ce qui se vit à cet instant, préparer « l’après » pour la famille et les proches, s’interroger sur la possibilité « d’autre chose ». Bref : échanger. Oser aller revisiter la Mort…
Je vous recommande de jeter un oeil à ce petit livre (moins de 60 pages) de Youki Vattier « Réenchanter la mort« . Il se lit très facilement et invite à la réflexion d’une façon simple (mais pas simpliste !)…
Puisqu’elle est intimement liée à la vie, je suis de ceux qui pensent qu’ « éduquer à la mort » (je cite là Hélène Romano lors d’une de ses interventions à laquelle j’ai participé) est plus que nécessaire aujourd’hui alors que les rituels funéraires disparaissent. Il faut un changement organisationnel, plus de solidarité, d’éducation afin d’oser parler de la mort et de la fin de vie et d’ainsi mieux les accompagner. Actuellement, on expédie la mort. Tous ces rituels qui donnaient un sens (les 3 jours de veillée par exemple), qui symbolisaient le passage d’un état à un autre, qui apaisaient également ont disparus. Aujourd’hui, nous faisons tout pour la mettre de coté puisque nous sommes dans une société qui vit dans le déni de la mort. Est ce que c’est son côté mystérieux qui nous fait si peur ? La peur du cadavre qui signifie notre anéantissement ? Le fait qu’elle soit devenue trop médicalisée ? Il m’arrive de proposer un exercice lors de mes ateliers : je propose de rédiger sa nécrologie. Pour certains cela peut apparaître comme quelque chose de violent, mais cela ouvre à l’introspection, offre à réfléchir… Généralement la prise de conscience qui en ressort est assez forte…
J’ai toujours été persuadée que parler de la mort pouvait avoir de réels bienfaits et permettre, en autres effets bénéfiques, d’apprendre à apprivoiser sa propre mort et de réfléchir sur sa vie. En parler c’est oser des questions, lever des tabous puisque c’est très souvent la méconnaissance qui fait peur. La préparation à la mort ne devrait donc pas se faire au moment de nos dernières heures, mais en amont, afin d’apaiser les craintes, de répondre aux interrogations. Dialoguer autour de la mort, partager nos expériences, permet de mieux préparer sa fin de vie. Je le vois, en tant que bénévole, auprès des familles qui accompagnent un proche mourant : lorsque la parole est libérée tout le monde est apaisé, serein.
Le caractère éphémère de la vie
Et puis on peut l’évoquer sans avoir l’air sinistre ! Il faut du temps pour cheminer, intégrer et apprivoiser cette mort si abstraite, mais il est important de prendre conscience que notre vie n’aurait pas autant d’importance si la mort n’existait pas… Au final, nous ne sommes que des « poussières d’étoiles » comme l’a dit l’astrophysicien Hubert Reeves.
Avec son caractère inéluctable, la mort conduit inévitablement à réfléchir au sens que l’on donne à sa propre finitude. Ce chemin je l’ai fait, à plusieurs reprises (seule ou lors de formations) je suis allée « gratter » au fond de moi, j’ai posé des questions, compris certaines choses qui me paraissaient obscures. Je m’interroge encore régulièrement… La mort nous prive de nos proches, elle est l’une des expériences les plus douloureuses, mais vouloir la taire, c’est comme nier l’impermanence de la vie…
Aujourd’hui, j’ai ce profond désir d’éveiller les consciences et d’interroger : si la mort permettait de nouer de nouvelles solidarités et d’être enfin en paix avec soi-même ?