Un après-midi en soins palliatifs
… « Mais vous le voyez bien, cet homme au visage noir, couché sur le côté ? Et la voiture de course, avec ses grosses roues, vous la voyez ????”. Je ne sais pas si Mme T. plaisante. Je l’observe : elle a l’oeil qui pétille et se redresse sur son lit.
Depuis quelques heures déjà que nous sommes ensemble dans sa chambre, nous observons les arbres du parc par la fenêtre. Mme T. me fait-elle une blague ou est-elle dans un état de confusion ?
« Attendez, je vais me mettre à votre hauteur pour regarder dans les branches moi aussi”. Je m’accroupie au niveau du lit et tente de distinguer une roue, un panda… Cela l’amuse. Elle éclate d’un rire franc. Son visage tout entier s’illumine.
Je tente alors un “je ne vois pas toute cette vie dans vos arbres, et c’est bien dommage… mais par-contre ce sont les nuages qui m’inspirent moi… J’y vois tellement de choses...”.
Elle me fixe, semble un peu déçue : “c’est pas pareil les nuages, mais c’est riche aussi…”. Je l’observe et m’apprête à enchainer lorsque je croise ses yeux rivés sur cet extérieur interdit, elle me lance :“… je ne veux pas être enterrée, mais incinérée. C’est mieux. Pas comme mon mari. Mon fils m’a demandé que je mette de l’argent de côté pour mon enterrement…Vous pensez qu’il m’aime encore ?”.
Puis, elle reprend : “Et là, le panda bien dodu, mais qui n’a pas la couleur d’un vrai panda hein… vous le voyez toujours pas ?!?”.
Mme T. reprend le fil de notre précédente conversation et se plonge dans ses voyages, son mariage, sa belle-famille, son appartement…
Elle me parle de sa voisine de chambre qui passe son temps dans la salle de bain et qui laisse la télévision allumée toute la nuit… « je crois qu’elle a peur… peut-être de mourir… « .
Je l’écoute. Je n’ai pas vu passer les minutes.
Je sors de la chambre interrogative et j’entends en refermant tout doucement la porte : “C’est fou tout de même cette voiture dans l’arbre !”.
Accompagner la maladie, la fin de vie, offre d’étonnants moments suspendus parfois…. Riches de sous-entendus…